Le nombre de crimes punis de mort risque de s’accroître au Kazakhstan

Asie

Publié par Thomas Hubert, le 15 février 2013

Combien de crimes seront passibles de la peine de mort après la mise à jour du droit pénal kazakh dans les mois à venir ? « Personne ne le sait ; 25 articles prévoyaient la peine de mort dans la première mouture, ce fut ensuite 18, et maintenant 20 », rapporte Saule Mektepbayeva, directrice régionale de Penal Reform International (PRI) en Asie centrale.
La constitution du Kazakhstan permet actuellement la peine de mort pour deux crimes : les actes de terrorisme causant des morts et les crimes graves commis en temps de guerre. Cependant, les législateurs ont interprété ces deux infractions de manière très large dans 18 articles du code pénal.
La réforme actuelle vise à élargir encore le champ d’application de la peine capitale, à l’encontre de la politique d’abolition graduelle affichée par le Kazakhstan.
PRI, organisation membre de la Coalition mondiale, prépare un débat à ce sujet au parlement kazakh le 19 février. Avec des diplomates de l’Union européenne et du Royaum-Uni, Saule Mektepbayeva va animer une table ronde rassemblant des parlementaires ainsi que des fonctionnaires du ministère de la Justice et du parquet général, ces derniers étant chargés de rédiger le nouveau code pénal. « Le maintien d’un nombre réduit de crimes punis de mort ou l’abolition de la peine capitale nécessite un travail de tous les instants », explique-t-elle.

Moratoire

Le président Noursoultan Nazarbaïev (photo, à dr., avec Catherine Ashton, représentante de l’UE pour la politique étrangère, à Astana en novembre 2012) a officiellement suspendu les exécutions en 2003 et le pays a voté en faveur de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies pour un moratoire sur l’utilisation de la peine de mort en décembre 2012.
Selon un rapport préparé par des experts locaux pour PRI, la politique affichée des autorités depuis 2002 est celle d’une « réduction progressive du champ d’application de la peine de mort ». Une précédente réforme du code pénal en 1997 a « presque réduit de moitié » le nombre de crimes punis de mort. Le Kazakhstan a modifié sa constitution en 2007 pour restreindre l’usage de la peine capitale aux crimes les plus graves tandis que ses voisins, le Kirghizstan et l’Ouzbékistan, l’abolissaient. L’espoir grandissait alors de voir Astana suivre rapidement la tendance régionale.
« Dans le système kazakh actuel, les peines sont déjà très élevées et le projet de réforme du code pénal devait aller vers un rééchelonnement », rappelle Anne Souléliac, responsable de la section droits de l’Homme du barreau de Paris. Cette autre membre de la Coalition mondiale s’est rendue au Kazakhstan fin janvier, et elle rapporte que le procureur général s’est vu confier la rédaction du nouveau code pénal dans un contexte général de remise en cause des droits de l’Homme dans le pays : « Les fermetures de médias d’opposition s’étendent au niveau national comme au niveau local. Des menaces pèsent sur l’indépendance des avocats, avec le projet de créer un barreau d’État. »

Minerais et Airbus

PRI espère commencer à convaincre des parlementaires le plus tôt possible, avant que le projet de loi n’arrive devant le parlement à l’automne. Les élus seront sous la pression d’une opinion publique connue pour ne pas favoriser l’abolition.
A la suite du débat du 19 février, PRI prévoit d’inviter deux parlementaires progressistes kazakhs à une visite d’étude à Londres et à Bruxelles en mai 2013 afin qu’ils puissent échanger expériences et bonnes pratiques avec leurs homologues européens. Les échanges porteront sur la conduite du processus abolitionniste du point de vue politique et juridique, ainsi que sur les réponses à apporter aux questions difficiles posées par le public.
D’ores et déjà, les militants locaux ont obtenu le soutien de diplomates européens pour adresser un message abolitionniste aux parlementaires. Ils pourront utiliser le récent vote du Kazakhstan en faveur de la résolution de l’ONU pour le moratoire ainsi que l’accueil favorable réservé aux projets de coopération en faveur de l’abolition ces dernières années afin de rappeler aux autorités leur stratégie de mise à l’écart de la peine de mort.
Cependant, Anne Souléliac appelle les partenaires européens du Kazakhstan à en faire plus, quelle que soit l’importance de leurs liens commerciaux grandissants avec le pays. « Le Kazakhstan observe un moratoire depuis des années et ce serait un retour en arrière grave d’augmenter le nombre crimes passibles de la peine de mort. La France et l’UE doivent jouer leur rôle et respecter leurs engagements », déclare-t-elle.
Le président français François Hollande et son ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, qui a fait de l’opposition à la peine de mort une priorité de son ministère, sont attendus à Astana prochainement.
Le Kazakhstan est riche en ressources minières et le président Nazarbaïev a reçu le 5 février le directeur général d’Airbus Military, parmi tant d’autres entreprises occidentales intéressées par des affaires dans le pays, déclarant son intention d’« approfondir la coopération mutuellement bénéfique » avec le constructeur d’avions européen.

Photo : European External Action Service – EEAS

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