Pourquoi la Jordanie a-t-elle repris les exécutions de condamnés à mort ?

Asie

Publié par Hend Hanafy, Faculté de droit Université de Cambridge, le 18 avril 2018

La guerre contre le terrorisme

« L’importance actuelle du pays dans la région confrontée à la guerre contre l’État islamique le conforte dans la mise en place d’une telle peine » (Oddone 2015).

En 2005, à la suite des pressions internationales quant à la situation des droits de l’homme dans le Royaume de Jordanie et notamment la poursuite des exécutions pour un grand nombre de crimes, le roi Abdullah a annoncé que la « Jordanie pourrait bientôt devenir le premier pays du Moyen-Orient sans peine capitale. » En 2006, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a protesté contre l’ampleur des crimes jugés passibles de la peine de mort dans la législation jordanienne. En réponse, en 2007, le roi a annoncé que les exécutions seraient suspendues jusqu’à nouvel ordre.

La dépendance du Royaume vis-à-vis de l’aide économique et du soutien politique des États-Unis et des pays de l’UE explique sa politique contre la peine de mort au milieu des années 2000 avec des promesses de traités bilatéraux pour l’échange de criminels et des dispositions spéciales pour les Jordaniens entrant dans l’Union européenne. Cependant, il semble que la montée du terrorisme, avec l’expansion de l’État islamique, a accordé à la Jordanie une nouvelle place sur la scène internationale en tant qu’allié dans la guerre contre le terrorisme.
 
Par le passé, la reprise de l’application de la peine capitale était freinée par la crainte que l’aide internationale ne soit conditionnée aux avancées dans le domaine des droits de l’homme et aux mesures en vue de l’abolition de la peine de mort en Jordanie. Cependant, l’entrée en guerre contre le terrorisme a conforté la Jordanie dans l’idée que la reprise de la peine de mort n’aurait pas de graves conséquences, notamment en ce qui concerne l’aide reçue par le pays (El Sabagh 2014). Comme l’indique le rapport Oddone qui cite l’analyste politique Oraib al-Rantawi :
 
La Jordanie est confrontée à la condamnation des pays occidentaux [mais] sans pression ni conditionnalité concernant l’aide économique ou le soutien politique », a déclaré M. Rantawi. « L’importance actuelle du pays dans la région confrontée à la guerre contre l’État islamique le conforte dans la mise en place d’une telle peine » (2015).

Dissuasion et image de l’État

« L’objectif était d’envoyer un message clair à toute personne qui tenterait de porter atteinte à la sécurité du pays. » Les exécutions sont « le sort de tous ceux qui commettent des infractions pénales » (Le procureur général du district d’Amman).

Alors que le nouveau contexte international garantit à la Jordanie que les pressions relatives aux droits de l’homme n’auront pas d’impact sur les aides économiques reçues et que le Royaume a survécu aux changements politiques drastiques qui ont accompagné les soulèvements de 2011 sans que le régime ne doive subir de changement radical, il était tentant d’utiliser la peine de mort pour promouvoir l’image d’un État fort et sûr. Ainsi, face aux critiques internes concernant les résultats du gouvernement sur le plan économique, notamment par rapport aux niveaux élevés de chômage et de pauvreté, le Royaume avait besoin de redorer son image et faire remonter sa popularité en rétablissant la peine de mort dans le cadre de sa politique de dissuasion et de lutte contre la criminalité et le terrorisme. En outre, la reprise de l’application de la peine de mort était une manière d’apaiser de larges pans de la population favorables à la peine capitale dans la mesure où elle va dans le sens de l’idéologie tribale traditionnelle de la vengeance.
 
Le ministère de l’Intérieur a annoncé le matin des exécutions du 21 décembre 2014 que la dissuasion était l’objectif principal du rétablissement de la peine de mort face à l’augmentation des taux de criminalité constatés depuis le moratoire. Néanmoins, de nombreux commentateurs ont exprimé leur opposition à une telle déclaration, arguant que l’augmentation des taux de criminalité est associée à la croissance de la population qui est passée « de 6 millions à plus de 9 millions en moins de 5 ans [ce qui] doit être un facteur expliquant l’augmentation de la criminalité ».

Au cours des années suivantes, ce qui avait commencé comme des exécutions de dans le but de dissuader de commettre les crimes de meurtre et de viol, s’est transformé en une politique de vengeance pour les crimes de terrorisme commis contre les Jordaniens. En 2015, la Jordanie a exécuté Sajida Al Rashawi, impliqué dans les attentats à la bombe d’Amman en 2005, et Karboli, membre d’Al-Qaïda et reconnu coupable d’avoir tué un ressortissant jordanien, en représailles d’avoir brûlé vif le pilote jordanien Moaz al-Kasasbeh. En 2017, 15 autres personnes ont été exécutées, dont 10 condamnées pour des crimes liés au terrorisme. Les rapports ont indiqué que le choix des criminels à exécuter n’était pas aléatoire. Au contraire, les individus exécutés étaient connus en raison de la grande médiatisation de leurs crimes qui ont longtemps attiré l’attention de l’opinion publique en Jordanie. Le Royaume prétendait ainsi renforcer sa légitimité et l’image d’un État fort et implacable face aux crimes.
 
Une évaluation de la reprise de la peine de mort après trois ans montre l’absence de signes positifs de cette mesure. En ce qui concerne la dissuasion des crimes de meurtre et de viol qui sont passibles de la peine de mort dans la législation jordanienne, rien n’indique une réduction des taux de criminalité ou une amélioration des conditions de sécurité après l’application de la peine de mort. En ce qui concerne la dissuasion des crimes liés au terrorisme, les attentats terroristes se sont poursuivis au cours des années 2015 et 2016, tel qu’indiqué par Sánchez.

En novembre 2015, une attaque contre l’armée a eu lieu à Muwaqqar tuant 6 personnes. En mars 2016, la cellule d’Irbid a été démantelée . Une attaque du bureau du GID du camp de réfugiés de Baqa’a a eu lieu en juin 2016. En septembre 2016 l’écrivain Nahed Hattar est assassiné et tandis qu’un attentat à Karak a lieu en décembre, ainsi que plusieurs attaques de groupes extrémistes à la frontière syrienne contre l’armée jordanienne.

En conclusion, la reprise de la peine de mort par la Jordanie semble être un cas classique de choix de combattre la violence par la violence. Au lieu de concentrer ses efforts sur l’éradication des problèmes économiques et sociaux qui entraînent des taux élevés de criminalité, la sensibilisation contre l’idéologie tribale traditionnelle de la vengeance, et la lutte contre l’idéologie extrémiste de l’État islamique, la Jordanie a choisi de tuer les criminels dans un effort de dissuasion qui s’est avéré infructueux. Comme le dit Kuttab « des réformes politiques, sociales et économiques beaucoup plus sérieuses sont nécessaires pour réduire les taux de criminalité et le terrorisme. » Étant donné que la reprise de la peine de mort n’a contribué à atteindre aucun des objectifs annoncés par le Royaume, on peut espérer que celui-ci reconsidèrera sa position et s’orientera vers l’abolition de la peine de mort. Cependant, un tel espoir semble minime alors que la voix prédominante de la violence et la guerre contre le terrorisme continuent de s’imposer.

Hend Hanafy est doctorante à la Faculté de droit de l’Université de Cambridge.