Bienvenue aux Etats-Unis de la barbarie

Abolition

le 2 mai 2008

La décision tant attendue de la Cour Suprême sur le dossier de Baze v Rees est finalement tombée le 16 avril. Certains auraient préféré qu’elle arrive un peu plus tard, fin mai ou début juin, bien que cela n’aurait rien résolu sur le fond et aurait simplement prolongé un peu le répit.
L’audience qui avait eu en janvier dernier avait largement annoncé la couleur et ne laissait pas présager d’une issue potentiellement positive. Néanmoins, nous espérions tous voir les Etats-Unis relever la tête et apporter une réponse juste à la question posée, qui malheureusement ne s’approche toujours pas du seul problème : est-ce qu’une démocratie, ou une nation qui se veut être un modèle de démocratie, peut prétendre que la peine capitale est constitutionnelle ?

Une gifle magistrale

Le choc n’a pas été la décision elle-même car ce dossier, tel qu’il avait été présenté et accepté par la Cour suprême, était assez restrictif. L’argument développé par Baze consistait, en résumé, à dire que le protocole de l’injection létale au Kentucky n’est pas une torture s’il est appliqué correctement, mais que les erreurs possibles posent un risque de torture et qu’un nouveau protocole devrait par conséquent être adopté. Il a donc donné aux juges de nombreuses options de rejet.
Par contre, le vote de 7 voix contre 2 a été une gifle magistrale bien que la décision se décompose en six opinions différentes. L’opinion de la majorité a été rédigée par le juge Roberts, rejoint par les juges Kennedy et Alito. Les juges Alito, Stevens, Scalia, rejoint par le juge Thomas, et le Juge Breyer ont rédigé individuellement une opinion en accord avec la décision de la majorité de la Cour et la juge Ginsburg rejoint par le juge Souter a rédigé une opinion contraire. Toutes ces variantes laissent un certain nombre d’options pour les appels à venir concernant la constitutionnalité de l’injection létale aux Etats-Unis.

50 à 75 mandats d’exécutions cette année au Texas

A la date d’aujourd’hui, quinze mandats d’exécutions ont été signés (un en Géorgie, un au Dakota du Sud, un en Arkansas, un en Illinois, un en Oklahoma, deux en Louisiane, trois en Virginie et cinq au Texas). Le nombre d’appels en fin de course est très élevé au Texas où nous nous attendons entre 50 et 75 mandats d’exécutions d’ici à la fin de cette année.
La bataille juridique promet d’être sanglante et, bien que les options juridiques existent réellement, le chemin va être très sinueux et les dommages collatéraux seront aussi nombreux qu’irréversibles. La communauté abolitionniste au Texas va avoir besoin de toute l’aide possible et imaginable, pas uniquement aux Etats-Unis, mais particulièrement de la communauté internationale : un soutien politique, moral, religieux et financier.
Le Texas change, les mentalités évoluent à leur rythme, mais le processus éducatif va être long. Pendant ce temps, beaucoup vont mourir aux mains d’un état qui croit offrir la « justice » à la société, alors qu’en réalité, il ne s’agit que de vengeance barbare et moyenâgeuse. Les exécutions au Texas et aux Etats-Unis en 2008 sont tellement inhumaines que les vétérinaires refusent toujours d’utiliser le cocktail des trois produits pour euthanasier les animaux.

La réalité nous prend aux tripes

De ma visite récente dans le couloir de la mort au Texas, vendredi dernier, je retiendrais les visages tendus, les regards désespérés et les quelques rares échanges entre condamnés à mort – d’une cage de visite à une autre – parlant de leur mort à venir dans une indifférence quasi-générale, abandonnés sur la table d’exécution et voués à être abattus comme des moins que rien. Ces derniers mois, nous avions tous oublié que nous visitions la maison des mort-vivants. La récréation est terminée. La réalité nous prend aux tripes et nous serre la gorge.
La peine capitale n’est pas une fatalité ou un phénomène socio-culturel face auquel nous sommes impuissants. Le choix du châtiment ultime nous appartient à tous et le silence confortable qui entoure la barbarie américaine en Europe ne peut nous donner le sentiment d’avoir bonne conscience. Nous sommes tous responsables du monde dans lequel nous vivons. Et si souvent nous avons l’impression de n’être qu’un grain de sable microscopique dans un désert infini, nous n’en sommes pas moins le grain de sable qui grossit et qui enrayera la machine à tuer pour finalement la détruire.

Le droit à la vie reste une priorité

Aujourd’hui tout reste à faire et à refaire. Les nombreuses exécutions à venir et l’attitude des Etats américains, qui dépensent sans limites ni retenue pour tuer en toute impunité, ne nous laissent plus le luxe d’une pause. Le droit à la vie reste une priorité absolue et comme l’a dit justement le juge Stevens dans son opinion sur Baze : "Le temps est venu d’établir une comparaison dépassionnée et impartiale entre le coût énorme imposé à la société par la peine capitale et le bénéfice que celle-ci apporte à cette même société."
Nous espérons tous une Cour Suprême qui fera honneur à la constitution de son pays et qui acceptera de revoir, d’analyser et d’éradiquer la peine capitale aux Etats-Unis. Cette décision est la seule qui saurait redonner tout son sens au concept juridique du "standard évolutif de la décence".
Combien de meurtres d’état vont être nécessaire pour que le monde "civilisé" relève la tête, se regarde dans une glace et prenne toute la mesure de sa lâcheté ? Si 405 exécutions au Texas et 1099 exécutions aux Etats-Unis ne sont pas suffisantes pour que la communauté internationale fasse plus que formuler une opposition verbale ou son indignation, quel doit être le nombre d’exécutions pour que des actions concertées disent : "ASSEZ !" ?

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