Procès iniques et peine de mort pour terrorisme en Irak

MENA

Publié par Majdoulin Sendadi, le 13 janvier 2020

Entre janvier et août 2019, l’Iraq a exécuté plus de 100 personnes accusées d’être affiliées à Daesh, selon Rudaw, un média Kurde.

En d’autres termes, si au cours de l’année 2018 au moins 52 personnes ont été exécutées, en huit mois une personne tous les deux jours est décédée de la main de l’État. Et malgré ce nombre élevé d’exécutions, 8000 personnes sont toujours condamnées à mort.

CRIMES PASSIBLES DE LA PEINE DE MORT

En Irak, la peine de mort est réglementée par la législation nationale et est infligée aux délinquants qui commettent différents crimes comme le meurtre, la trahison, l’espionnage, le viol, l’enlèvement, le terrorisme, les crimes de guerre ainsi que le trafic de drogue.

Cependant, les personnes accusées de terrorisme bénéficient d’un traitement particulier car leurs affaires sont traitées sur la base de la loi antiterroriste (n ° 13) de 2005. Cette dernière condamne à mort toute personne, qu’elle soit participante ou auteure des crimes visés aux articles 2 et 3.

Dans de nombreux cas, les responsables irakiens font prévaloir la loi antiterroriste sur le Code de procédure pénale. Cela signifie que les personnes accusées d’appartenir à un groupe terroriste pourraient voir la plupart de leurs droits civils fondamentaux bafoués.

L’ABSENCE D’ÉQUITÉ DANS LE SYSTÈME DE JUSTICE PÉNALE

Lors de la Conférence qui s’est tenue à Paris à l’occasion de la 17e journée mondiale contre la peine de mort, Belkis Wille, chercheuse de Human Rights Watch, a indiqué que la plupart des personnes accusées d’être associées au terrorisme ne sont pas informées des raisons pour lesquelles elles ont été arrêtés, elles n’ont pas accès à une représentation légale, elles ne peuvent pas parler avec leurs familles et elles n’ont pas assez de temps pour préparer leur défense. Enfin, ces individus sont rapidement condamnés par des procès inéquitables, expéditifs, fondés sur des preuves insuffisantes ou sur un seul témoignage.

Belkis Wille continue en disant que ces procès inéquitables sont le résultat d’un système confessionnel sur lequel se fonde la justice pénale irakienne. Pour les enquêteurs l’important est d’obtenir des aveux afin de déférer les personnes directement devant les tribunaux. Par conséquent, la torture et tout autre type de mauvais traitements deviennent une habitude pour faire avouer le suspect.

Il s’agit d’un système qui se révèle être un système de vengeance, dans lequel la transparence est presque absente. Il n’y a pas de présomption d’innocence car même les suspects auxquels aucune appartenance à un groupe terroriste n’a été prouvée sont soumis à ces mauvais traitements. Cette injustice amène à des conséquences dramatiques aussi pour les avocats simplement parce qu’ils ont défendu des présumés terroristes. En fait, comme a été déclaré par Amnesty International, en 2018, une quinzaine d’avocats a été accusés d’être affiliés à Daech simplement parce qu’ils défendaient des personnes accusée de terrorisme.

La façon d’agir de la juridiction pénale irakienne a été critiqué à plusieurs reprises par les défenseurs des droits humains parce qu’elle est considérée comme irrespectueuse envers les standards des droits humains. C’est pour cette raison que des organisations, comme Amnesty International, tentent de promouvoir l’idée de créer des tribunaux internationaux pour la poursuite des suspects de l’Etat islamique, afin d’assurer à tous les auteurs de crimes internationaux l’accès à la justice sur la base d’un procès équitable et de l’intégrité de leur vie en interdisant la mort comme peine maximale.

LES ÉTRANGERS CONDAMNÉS A MORT ET LA QUESTION DE LA REPATRIATION

Ne nombreuses personnes accusées d’appartenir à des groupes terroristes sont des étrangers et ils sont les plus susceptibles d’être condamnés à mort. Belkis Wille a souligné que, même si les preuves sont très faibles lorsqu’il s’agit d’étrangers, pour l’opinion publique irakienne, ce sont eux qui méritent le plus d’être condamnés à mort car ils sont considérés comme ceux qui ont osé venir dans leur pays et tuer leur peuple.

L’Iraq demande fréquemment aux pays de reprendre leurs ressortissants soupçonnés d’être des combattants de Daesh sur la base de négociations de rapatriement. Cependant certains pays, comme la France, refusent de les rapatrier.

Le rapatriement est une question qui a suscité beaucoup de polémique entre les gouvernements européens, les ONG et les avocats, qui luttent pour faire juger leurs clients sur leur territoire d’origine. D’une part, les autorités européennes rejettent le rapatriement en raison de l’opinion publique et de la sécurité nationale, d’autre part les avocats affirment que la meilleure action de sécurité est de les rapatrier afin de mieux les contrôler et de prévenir toute attaque future dans le pays. Cette question est d’autant plus critique depuis fin 2019, lorsque de nombreux suspects de terrorisme, détenus par les forces kurdes, se sont échappés des prisons après l’attaque turque dans la région nord de la Syrie. Cette situation est devenue incontrôlée, ce qui a entraîné un risque de dispersion et a fait, selon l’avocat Nabil Boudi, du rapatriement "le moyen le plus simple de sécuriser notre territoire".

Nabil Boudi, l’avocat de six français condamnés à mort en Irak, dont Bilal Kabaoui et Brahim Nejara, a insisté sur le fait que le rapatriement était nécessaire pour rendre le procès de ses clients équitable et juste. Lors du débat public organisé au Barreau de Paris, à l’occasion de la 17e Journée mondiale contre la peine de mort, Nabil Boudi a déclaré que ses clients avaient été torturés à différentes étapes et que leurs procès avaient duré environ 10 minutes. Les sœurs de Bilal et de Brahim ont aussi participé à la conférence à Paris et elles ont exprimées leur crainte de voir l’exécution de la peine et la mort de leurs frères. Elles souhaitaient vivement leur rapatriement et si reconnus coupables après un procès équitable, elles ne demandaient pas l’impunité, mais voulaient juste qu’ils soient poursuivis dans leur patrie.

CONCLUSION

Depuis de nombreuses années, Amnesty International place l’Irak parmi les cinq pays qui exécutent de plus au monde après la Chine, l’Iran, l’Arabie saoudite et le Vietnam. Les condamnations à mort, en Irak, ne reconnaissent pas une tendance linéaire. Certaines années, le nombre d’exécutions diminue, mais d’autres, il augmente considérablement, comme en 2019.

La cadence des exécutions a été initiée par le ministre de la Justice Haider Al-Zamili lors d’une réunion avec le président du Conseil judiciaire suprême en 2015.  Il a déclaré que la peine de mort devait être appliquée comme moyen de dissuasion dans ces circonstances spécifiques que traverse l’Iraq et qu’elle sera révoquée une fois que l’Iraq aura atteint une situation de sécurité.

Au contraire, Sarah Leah Whitson, directrice exécutive de la Division du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, a affirmé que "de telles poursuites étendues seraient une grave erreur si l’Iraq devait établir un minimum de réconciliation nationale". À son avis, la solution est "de permettre à ces membres de l’Etat islamique de participer à un mécanisme national de réconciliation et de vérité qui peut également servir à créer un recensement de tous les crimes commis par l’Etat islamique, et de se racheter en servant les communautés irakiennes auxquelles eux et leurs familles finissent par appartenir… Étant donné l’état profondément fracturé de la société irakienne, cela peut aussi être sa meilleure chance d’unir et de reconstruire un pays pacifique".

Vue la situation actuelle en Irak, marquée par l’application de la peine de mort et par le manquement d’équité de son système judiciaire, les organisations des droits de l’homme et les avocats exhortent l’Europe à continuer d’être fidèle aux principes moraux du procès équitable et des droits de l’homme aussi au-delà de ses frontières. Le rapatriement des citoyens européens est vu non seulement comme un moyen pour protéger leurs droits, mais aussi pour lutter contre le terrorisme en obtenant des informations pour mieux comprendre le phénomène de radicalisation en Europe et en France. Par ailleurs, les éventuelles exécutions pourraient affecter "la légitimité et la crédibilité de la France sur la scène internationale, tant dans le dialogue bilatéral, qu’au sein des instances internationales et notamment au sein de l’Union Européenne mais aussi vis-à-vis des Etats tiers souhaitant intégrer l’UE puisque l’abolition de la peine de mort est une condition d’adhésion à l’Union européenne. Cela créerait un dangereux précédent qui pourrait imprégner toute discussion future relative aux droits de l’homme ou bien du traitement de ressortissants français poursuivis par la justice d’un autre pays, alors même que les autorités françaises ont un rôle important à jouer à ce niveau.. "

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