L’histoire du droit Chinois plaide pour l’abolition

Abolition

le 27 septembre 2007

Les actions se multiplient pour demander des comptes à la Chine sur son utilisation massive de la peine de mort à l’approche des Jeux olympiques de Pékin en 2008. Loin d’être une lubie occidentale, l’abolition de la peine capitale en Chine ne serait qu’un retour à une décision impériale du VIIIe siècle.

La Chine, premier pays de l’Histoire à abolir la peine de mort ? Voici l’une des révélations d’un récent colloque sur la place de ce châtiment dans la culture et l’histoire chinoises, organisé en juin dernier au Collège de France à Paris.
Jérôme Bourgon, chercheur au Centre national de la recherche scientifique français, y a présenté le résultat de ses recherches sur la peine de mort dans les codes pénaux impériaux.
En remontant aux sources du droit chinois, le chercheur a constaté que la peine de mort n’était à l’origine prononcée qu’à l’encontre de tueurs avérés : « Dès qu’un homicide survient, l’Etat est en dette vis-à-vis de la victime et doit trouver le coupable pour le punir », explique-t-il.
Les peines de mort constituent alors le faîte d’un échafaudage de peines échelonnées de la bastonnade à la décapitation. « Les peines de mort » au pluriel, car on distingue les modes d’exécution qui ne dégradent pas l’intégrité du corps, comme la strangulation, de ceux qui entraînent une mutilation, jugés beaucoup plus graves pour des raisons religieuses.
En effet, voir son corps découpé réduisait à néant l’espoir du condamné de devenir un jour un ancêtre vénéré par les générations suivantes. La strangulation, pourtant plus pénible, était donc vue comme moins grave, et la durée du supplice pouvait se monnayer auprès du bourreau…
« La douleur n’était pas valorisée par la logique pénale chinoise », estime Zhang Ning, chercheuse à l’Université de Genève. En revanche, la dimension religieuse de la peine de mort rend plus terrifiante encore la perspective d’erreurs judiciaires. Les spectres des personnes exécutées par erreur sont en effet susceptibles de venir hanter le monde visible…
Un édit d’abolition sous les Tang
Tout au long de l’empire, Jérôme Bourgon considère que les autorités se sont efforcées de limiter l’usage de la peine capitale. En 747, elles franchissent le pas : « Sous les Tang, on trouve un édit d’abolition des peines de mort, du fait que l’on se trouvait en temps de paix », explique le chercheur. On ne connaît toutefois ni la durée exacte ni l’impact réel de la période abolitionniste chinoise, mal documentée.
Même si les Ming ont ajouté bien plus tard la corruption aux crimes passibles de la peine de mort, un système de circonstances atténuantes permettait à la plupart des condamnés qui n’avaient pas de sang sur les mains d’échapper à l’exécution.
De fait, les documents de la fin de l’empire font état d’exécutions bien moins nombreuses qu’aujourd’hui. Jérôme Bourgon a détecté 2 553 mises à mort en 1753, et 1 139 en 1894. Sans doute sous-estimés car faisant référence aux seuls cas effectivement présentés aux assises d’automne qui se réunissaient une fois par an, ces chiffres restent toutefois loin derrière les estimations actuelles d’environ 8 000 exécutions par an.
En un peu plus d’un siècle, le nombre d’exécutions aurait ainsi été multiplié par plus de sept alors que la population a "seulement" quadruplé.

Des fondements relatifs, un abolitionnisme universel
On le voit bien, les représentations de la vie et de la mort et leurs conséquences sur la façon dont on appréhende la peine capitale sont fondamentalement différentes en Chine et en occident. Doit-on pourtant renoncer à l’abolitionnisme en Chine, au nom du respect de la culture locale ?
Pour Mireille Delmas-Marty, chercheuse en droit au Collège de France, « il faut déplacer la pensée binaire universel-relatif ». On voit bien à travers les exemples précédents que, même si les motivations sont différentes, des réticences existent en Chine comme ailleurs quand à la douleur subie par le condamné à mort, le spectre de l’erreur judiciaire, le malaise de l’Etat lorsqu’il tue ses administrés.
Pour la juriste, le relativisme des fondements n’exclut pas l’universalisme de l’abolitionnisme. Selon elle, une communauté de valeurs internationale peut émerger dans le pluralisme, soit en développant un dialogue entre les juges, soit en mettant un place une sorte de cour internationale des droits de l’Homme, afin de « créer de la ressemblance dans l’altérité – un travail de traducteur ».
Mireille Delmas-Marty y voit un moyen de se rapprocher dans la profondeur, comme le recommandait le philosophe Paul Ricoeur: « Si je m’approfondis dans ma tradition, je me rapproche de l’autre s’il fait ce même travail. »
Avec Audrey Provost, Ligue des droits de l’Homme
Illustrations : Coll. J. Bourgon/Turandot

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