la TAEDP a décidé de se retirer du « groupe de travail pour l’abolition progressive de la peine de mort du ministère de la Justice »

Déclaration

Publié par TAEDP, le 30 avril 2020

Communiqué de la TAEDP (Taiwan Alliance to End of Death Penalty), 2 avril 2020

Dans la soirée du 1er avril dernier, le ministère de la Justice a publié un communiqué de presse titré « En application de l’Etat de droit, le ministère de la Justice a, dans la stricte application de la loi, procédé à une exécution », confirmant l’exécution de Weng Jen-hsien. Voici notre réponse :

« En application de » l’Etat de droit ? « Au mépris de » plutôt !

L’exécution qui a eu lieu hier est la deuxième sous le mandat présidentiel de Tsai Ing-wen. Avant celle de Lee Hung-chi en 2018, la TAEDP avait participé à une réunion de suivi organisée par le ministère suite au premier examen de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Le vice-ministre Chen Ming-tang, qui présidait la réunion, avait approuvé les recommandations présentées par les associations, estimant que la réglementation des Points clés de l’examen des conditions d’application de la peine de mort posait problème. Il avait alors demandé aux associations de présenter des propositions d’amendement. Néanmoins, dix jours plus tard, le ministère, en appliquant cette réglementation qu’il avait lui-même considéré comme problématique, a mis à mort Lee Hung-chi.

L’an dernier, nous espérions que l’amendement des réglementations concernant l’exécution en prison et la détention, qui vont ainsi entrer en vigueur en juillet, les rendrait désormais respectueuses des droits de l’homme. A ce sujet, les différents services du ministère avaient organisé des réunions-discussions avec les associations et des membres de la société civile autour des mandats qui leur sont spécifiques. L’article 145 de la réglementation sur les exécutions en prison précise : « L’exécution doit être menée dans un espace dédié au sein de la prison. La méthode, les restrictions, la procédure et toutes les affaires liées à l’exécution doivent être décidées par le ministère de la Justice. » Cela signifie ainsi que les méthodes de mise à mort par balle ou par injection, utilisées jusque-là, devaient être réexaminées. Par ailleurs, les restrictions, la procédure et autres affaires devaient également être reformulées de sorte qu’elles garantissent les droits de l’homme. Et pourtant, après ces échanges, le ministère a tout de même décidé de l’exécution de Weng Jen-hsien en appliquant une procédure et des méthodes qu’il estimait problématiques.

Ce qui définit l’Etat de droit, ce n’est pas simplement le respect des lois, c’est de pouvoir exercer un contrôle sur le pouvoir de l’Etat. Le ministère de la Justice estime certes que certaines lois doivent être amendées car elles présentent des failles mais il les applique tout de même en exécutant des condamnés. Ceci n’est pas respecter le principe de l’Etat de droit, c’est le mépriser.

Une application scrupuleuse du droit ? Une infraction éhontée plutôt !

L’exécution qui vient d’avoir lieu va non seulement à l’encontre de l’Etat de droit, elle est aussi illégale. Dans le troisième paragraphe du communiqué du ministère, il est précisé que, conformément aux Points clés de l’examen des conditions d’application de la peine de mort, les organes concernés ont été consultés pour savoir si le condamné avait déposé une demande d’interprétation auprès de la Cour constitutionnelle, ou fait appel, ou a été considéré comme n’étant pas en possession complète de ses capacités intellectuelles. Il a par ailleurs été confirmé qu’il n’avait pas fait de demande ni obtenu d’amnistie. Lors de la confirmation de l’exécution, toute la procédure pour garantir les droits du condamné aurait été strictement appliquée. Et pourtant, au cours du procès de Weng Jen-hsien, un psychiatre avait posé le diagnostic suivant : c’est parce qu’il souffrait d’un trouble narcissique et présentait une partie des symptômes de l’autisme qu’il est passé à l’acte. Dans ce cas, comment le ministère interprète-t-il ce passage de sa propre réglementation : « n’étant pas en possession complète de ses capacités intellectuelles » ? Si le ministère n’est pas capable de donner une explication claire à ce sujet, il ne serait pas déraisonnable de supposer que l’exécution n’est pas conforme à la loi.

Dans le quatrième paragraphe du communiqué, le ministère a cité deux conventions et a expliqué que l’exécution était en tous points conforme aux deux conventions et qu’elle a été actée dans un souci de justice et de respect de la loi. Et pourtant, les experts internationaux, sur la base des deux conventions, nommément la Convention relative aux droits des personnes handicapées et la convention de 2017, ainsi que des observations et recommandations finales de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, ont appelé le gouvernement taiwanais à stopper immédiatement la procédure. Ils ont également rappelé que la peine de mort n’a pas à être appliquée à des personnes souffrant de troubles mentaux. Par conséquent, l’exécution actée par le ministère enfreint sans doute aucun le texte de ces conventions.

Nouveau retrait du groupe de travail pour l’abolition progressive de la peine de mort

C’est en 2010 que le ministère avait invité des experts, des représentants de l’Etat et d’ONGs pour cofonder ce « groupe de travail pour l’abolition progressive de la peine de mort ». Les premier et deuxième points du manifeste de création établissaient clairement les éléments suivants : « Le groupe de travail pour l’abolition progressive de la peine de mort établi par le ministère de la Justice est un organe permanent qui a pour objectif la promotion d’une politique d’abolition progressive de la peine de mort afin, à terme, d’abolir la peine capitale » ; « Les deux conventions, par ailleurs ratifiées par la présidente, et la loi d’application ont d’ores et déjà été votées cette année par le yuan législatif (ndt. Le parlement). L’abolition de la peine de mort est un principe clef au cœur des droits de l’homme, notre pays a ainsi, dans ses efforts pour faire progresser les droits de l’homme, adopté une position pro-active en la matière. Le groupe de travail pour l’abolition progressive de la peine de mort a par conséquent été fondé comme organe permanent, des mécanismes de promotion ont été mis en place, des mesures ont été prises pour superviser et encourager les départements concernés à appliquer rapidement les décisions en la matière, afin de pouvoir rapidement obtenir le soutien de l’opinion publique et des associations de victimes et réussir à atteindre l’objectif final, à savoir l’abolition de la mort. Cela nous permettra d’être au diapason avec la grande tendance internationale et de garantir les droits de l’homme. » Voilà l’intention première de ce groupe de travail ; c’était également aussi la raison principale pour laquelle de nombreux membres de la société civile avaient accepté de participer aux travaux de ce groupe. Malheureusement, fin 2012, le ministère de la Justice, dans une déclaration publique, avait précisé : « Concernant la question de l’abolition de la peine de mort, nous avons toujours affirmé respecter le principe d’une administration par le droit. Nous ne nous sommes jamais officiellement engagés à abolir la peine de mort ». De plus, depuis 2010, des exécutions ayant eu lieu chaque année, neuf membres issus de la société civile ont, par conférence de presse, officialisé leur départ du groupe de travail.

Lors de la deuxième réunion d’examen international des deux conventions qui s’est tenue début 2017, Chen Ming-tang avait répondu aux questions des experts internationaux et affirmé qu’il allait relancer les travaux du groupe dans les trois mois qui allaient suivre ; néanmoins, il a fallu attendre la fin de l’année pour que cela soit fait. Le groupe était composé d’acteurs du monde associatif : la TAEDP, le Taiwan Innocence Project, la Chinese Association for Human Rights (CAHR), l’Association for Victims Support (ACV), l’association White Rose, ainsi que des représentants du monde universitaire et du gouvernement. Lors de la première réunion de travail, de nombreux membres avaient affirmé être pour le maintien de la peine de mort. Dans les réunions qui ont suivi (sept au total), il est apparu que seules les ONGs participaient régulièrement aux travaux, ce qui est très aisé à vérifier avec les fiches de présence. Une certaine nonchalance était palpable, que ce soit pour l’organisation logistique ou le choix des thèmes. Sur la fin, les réunions étaient devenues de simples conférences où venaient intervenir des universitaires étrangers, tandis que de nombreux thèmes que les ONGs souhaitaient aborder n’avaient pas été véritablement traités.

La TAEDP a toujours activement participé au fonctionnement du groupe de travail, ayant eu l’espoir d’aider le ministère à mieux communiquer et échanger avec la société civile. En réalité, le ministère n’a établi cette unité que pour répondre aux exigences des experts internationaux. Cette attitude irresponsable est en plus couplée à une application illégale de la peine de mort, ce qui est tout à fait contraire à l’intention première de ce groupe de travail. La TAEDP estimant que ce groupe étant vidé de tout sens, a décidé de le quitter de nouveau.

Un ministre de la justice qui n’est pas à la hauteur

Le yuan législatif taiwanais, fin 2002, avait examiné et approuvé les deux conventions mais le processus s’était arrêté après leur réexamen. Ce n’est qu’en mars 2009, après l’approbation des lois d’application des deux conventions que ces dernières ont été transposées dans le droit interne. Jusqu’à présent, conformément à l’alinéa 6 de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, « aucune disposition du présent article ne peut être invoquée pour retarder ou empêcher l’abolition de la peine capitale par un Etat partie », il semble évident que l’abolition de la peine de mort est un sujet très important pour le pénal à Taiwan ; en ce sens, il est d’autant plus essentiel de souligner que l’Etat doit ainsi prendre ses responsabilités et faire de l’abolition de la peine de mort un objectif prioritaire.

Si les sources de cet article sont avérées, Tsai Ching-hsiang ,le ministre de la Justice, aurait déclaré que la présidente Tsai Ing-wen et le premier ministre Su Tseng-chang n’avaient pas été informés en amont de l’exécution d’avril. Or, nous sommes en droit d’attendre du ministre de la Justice de, a minima, respecter les principes d’Etat de droit et de d’administration par le droit, et d’être davantage pro-actif en tant que membre du gouvernement, dans la mise en place de politiques visant à terme à abolir la peine de mort. Un ministre de la Justice qui exécute des condamnés de façon illégale, au mépris du principe de l’Etat de droit, n’a plus aucune légitimité à rester à ce poste si essentiel.

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