Aucune mention des condamnés à mort dans les règles de Mandela

Normes internationales

Publié par Nordine Drici (Planète Réfugiés) & Sandrine Ageorges-Skinner (ECPM), le 30 novembre 2018

Thème de la journée mondiale contre la peine de mort du 10 octobre 2018, les conditions de détention et de traitements bénéficient d’une protection générale en lien avec celles des personnes privées de liberté encadrée par une longue série de traités et lignes directrices de références : Déclaration universelle des droits de l’Homme, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Convention contre la torture, Convention sur les droits de l’enfant, et Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (articles 4, 5 et 6), Charte africaine des droits de l’Homme et du bien-être de l’Enfant, Lignes directrices de Robben Island, Règles de Mandela de 1955 (révisées en 2015), complétées par les Règles de Pékin sur les mineurs privés de liberté et les Règles de Bangkok sur les femmes privées de liberté.

Dans ce cadre, ce 70e anniversaire de la Déclaration des droits de l’Homme est aussi l’occasion de nous questionner sur la nécessité de renforcer les standards internationaux existants sur la détention et le traitement des condamnés à mort d’un point de vue juridique.

Détention des condamnés à mort : une protection générale et des rendez-vous manqués

Si ces normes juridiques qui garantissent une protection générale aux détenus – et partant, aux condamné(e)s à mort – sont légion, il n’en reste pas moins qu’il n’existe à ce jour aucune disposition juridique qui garantisse une protection spécifique aux détenus condamnés à mort, alors même qu’il existe des vulnérabilités spécifiques pour lesquelles le droit international des droits de l’Homme demeure, à ce jour, muet.

La révision des règles de Mandela en 2015 n’a malheureusement pas inclus de dispositions finales spécifiques à la détention des condamnés à mort, alors que des standards additionnels pour les mineurs et les femmes privées de liberté existent. En outre, les lignes directrices de l’Union européenne sur la torture et sur la question de la peine de mort n’abordent pas du tout cette question de la détention des personnes condamnées à la peine capitale, alors que le plan d’action de l’Union européenne sur les droits de l’Homme (2015-2019) comporte en son point 13(a), la nécessité de travailler à des standards minimaux.

Autre déception : celle de la révision et de l’adoption très récente par les Nations unies, le 30 octobre dernier, du Commentaire général No. 36 portant sur l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au droit à la vie, qui reste complètement muet sur la question de la détention des condamnés à mort.

Des vulnérabilités spécifiques sans ancrage suffisant dans le droit international des droits de l’Homme

Le vide juridique n’est que peu souvent en faveur des détenteurs de droits (rights holders) les plus vulnérables, à l’instar des personnes détenues et condamnées à la peine capitale. Exemple emblématique spécifique, la question de la définition de ce que recouvrent le « couloir de la mort » et l’isolement carcéral qui caractérise la détention d’une proportion importante de condamnés à mort dans le monde, plus de 20 000 aujourd’hui selon les statistiques officielles.

Les conditions de détentions des condamnés à mort dans le monde varient grandement d’un continent à un autre. Dans certains pays, des blocs de détention spécifiques leur sont réservés : les couloirs de la mort, dans d’autre pays les condamnés sont détenus dans la population générale des prisonniers. Dans ces deux cas, leurs besoins sont liés à leur sentence et ils ne sont pas pris en compte. Les couloirs de la mort imposent quasiment l’isolement carcéral et la présente comme une mesure administrative et non disciplinaire.

Pourtant cet isolement se trouve très souvent constitutif de torture réelle, et sans fin, puisqu’un comportement irréprochable ne permet pas d’en sortir. Les condamnés qui sont détenus avec les autres prisonniers sont quant à eux des cibles faciles car ils sont voués à la mort et en général, les autorités ne se soucient guère de leur devenir ou de leur quotidien. Si la sentence est bien la mort à venir, celle-ci ne saurait induire des traitements dégradants ou la torture quotidienne, d’ou la nécessité d’encadrer les conditions de détention des condamnés à mort.

Quelques pistes de réflexion

Les conditions de détention et de traitement des condamnés à mort sont particulièrement difficiles sur un certain nombre de dimensions quotidiennes de la privation de la liberté. Ces points mériteraient un renforcement des garanties juridiques minimales en matière de respect de la dignité humaine :

• L’accès et le lien avec le monde extérieur (famille, avocats, représentation diplomatique ou consulaire) avec une vulnérabilité accrue pour les femmes et les mineurs. L’enjeu est le maintien d’un tissu social. Certaines prisons détenant les condamnés à mort peuvent être à des centaines voire des milliers de kilomètres, ce qui n’est pas de nature à garantir la pérennité de ses liens.

• L’accès aux soins de santé primaire, au personnel de santé et aux soins spécifiques (en particulier le volet psychologique). La condamnation à mort représente dans de nombreux systèmes carcéraux un facteur aggravant du déni d’accès général aux soins de santé primaire. Une association de défense des droits des condamnés à mort au Pakistan (en particulier dans la province du Pendjab) dénombre chaque semaine des morts en détention du fait des conditions sanitaires, y compris des décès réguliers de condamnés à mort.

Une formation spécifique de agents pénitentiaires sur la question de la santé des personnes condamnées à la peine capitale, et en particulier les manifestations du « syndrome du couloir de la mort » pourrait ainsi faire l’objet d’une recommandation ou règle spécifique.

• L’accès à la cour de promenade et à l’air libre, le standard minima pour les personnes privées de liberté étant une heure par jour. Or de nombreux condamnés à mort ont accès à une cour intérieure qui n’est pas à l’air libre.

• L’accès à une aide juridictionnelle gratuite et de qualité pour les procédures d’appel avec un accès automatique à un interprète si nécessaire.

• L’accès à l’éducation et aux activités manuelles. À titre d’exemple, au Malawi les femmes condamnées à mort peuvent participer au jardinage. Au Burkina Faso, les femmes détenues, y compris les condamnées à mort, ont la possibilité de lire ce qu’elles veulent, ce qui n’est pas le cas dans tous les systèmes carcéraux.

• La question de la dépouille et des effets personnels des condamnés à mort. Les standards internationaux sont loin d’être explicites sur ce sujet. Afin de pouvoir faire leur deuil, à l’instar des familles de victimes de disparitions forcées qui ont été retrouvées, les familles devraient pouvoir récupérer le corps de la personne exécutée, l’intégralité de ses effets personnels, afin d’être en mesure d’offrir les rites funéraires.

• La question des contrôles ou inspections internes ou externes des conditions de détentions et de traitement des condamnés à mort devraient faire l’objet de visites et de rapports systématiques. Cette dimension n’est malheureusement pas mentionnée dans la mouture actuelle des standards internationaux.

• La question de l’appartenance à une minorité : dans un certain nombre d’États où la peine de mort est appliquée, le fait d’être une minorité (Afghans ou Arabes Ahwaz en Iran par exemple), constitue, en lien avec d’autres facteurs tels que la pauvreté ou le niveau d’éducation, un facteur aggravant. Il en est de même pour la question de l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Dans ce cadre, les règles de Mandela ne sont pas assez inclusives et précises quant à l’impératif de non-discrimination qui transcendent tous les traités en matière de protection des droits de l’Homme.

• La question du rôle de médias. Cette question renvoie au rôle de sensibilisation sur ce que sont les conditions de détention des condamnés à mort et à la sollicitation des acteurs afin de développer les recherches sur ces aspects, dans l’esprit de la règle 70 des Règles de Bangkok de 2011 sur les femmes privées de liberté.

Conclusion

Le but de ce premier article était, dans le cadre du développement d’un argumentaire à nourrir davantage, de montrer les lacunes très claires du corpus du droit international des droits de l’Homme en matière de protection spécifique de la détention des condamnés à mort dans le monde. Un corpus à renforcer, et à discuter à l’aune des expériences, bonnes pratiques et jurisprudences sur le plan régional et national.

C’est sur cette base que Planète Réfugiés-Droits de l’Homme organisera le 26 février prochain à Bruxelles, en amont de l’ouverture du Congrès mondial contre la peine de mort, un side event qui prendra la forme d’un premier atelier de travail sur l’élaboration et la rédaction du contenu de ses standards spécifiques aux conditions de détention et de traitement des condamnés à mort. Le rendez-vous bruxellois est donc pris !

Pour plus de renseignements sur le side event, merci de contacter Nordine Drici (nordinedrici@hotmail.fr) et Sandrine Ageorges-Skinner (sandrine.ageorges@gmail.com).

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