C’est en Afrique que l’on trouve les plus fortes dynamiques vers l’abolition

Afrique

Publié par Clémentine Etienne, le 24 avril 2018

« C’est en Afrique que l’on trouve les plus fortes dynamiques vers l’abolition ».

Par le prononcé de ces simples mots Namizata Sangare, présidente de la Commission Nationale des Droits de l’Homme en Côte d‘Ivoire (CNDHCI), justifie tout naturellement la tenue du 3e Congrès Régional en Afrique.

L’Afrique, « prochain continent abolitionniste »

Ce Congrès offre l’opportunité pour la société civile et les différents acteurs abolitionnistes, internationaux ou régionaux de solliciter et sensibiliser les pays africains sur la question de la peine de mort, notamment les 17 pays en moratoire et les pays encore rétentionnistes.

Le Congrès régional fut fédérateur et s’il a permis de rappeler avant tout la volonté universelle d’abolir la peine de mort, il n’a pas omis d’évoquer le contexte dans lequel évolue la question, en l’occurrence, en Afrique. Dans le cadre des tables rondes et des différents panels qui étaient proposés les problématiques régionales sont ressorties et la pertinence des propos des intervenants fortement appréciée. L’une des tables rondes ayant obtenu un fort succès est celle de la peine de mort en tant qu’héritage colonial. Cette question se posait dans le contexte historique de l’Afrique et ses intervenants ont su établir un dialogue intéressant en offrant à chacun la libre interprétation des arguments qui étaient utilisés.

 Dans le cadre du Congrès, la présence de pays rétentionnistes ou dans une situation de moratoire de fait était importante. Plusieurs pays ont ainsi pris des engagements en faveur de l’abolition lors de la Cérémonie solennelle d’ouverture. La ministre des Droits de l’Homme de la RDC a offert une voix à l’abolition en déclarant espérer pouvoir parler d’abolition dans son pays dans les prochaines années. Mr Djimet Arabi, Ministre de la Justice chargé des droits humains du Tchad, a quant à lui déclaré que son pays abolira bientôt la peine de mort pour tous les crimes : « Le Tchad ne peut pas rester en marge de l’abolition. C’est inévitable le Tchad abolira un jour la peine de mort, même pour terrorisme ». Le Burkina Faso n’était pas en reste avec Mr Bessolé René Bagoro ministre de la Justice : « Mon pays est prêt pour l’abolition, le parlement doit maintenant jouer son rôle ».

Une mobilisation plus importante qu’escomptée

Au-delà des raisons géographique et historique que représente l’Afrique pour l’établissement d’un tel Congrès, la société civile africaine représente aussi un facteur majeur dans le combat pour l’abolition.

L’association organisatrice du Congrès, Ensemble Contre la Peine de Mort (ECPM) avait établi un nombre de participants à hauteur de 200 à 300, cependant dès le premier jour ce chiffre s’est en réalité avéré plus proche des 350-400 personnes. Le second jour ce chiffre n’a que peu diminué. L’envergure d’un tel évènement a donc attiré les foules ce qui représente pour la société civile, les organisateurs et co-organisateurs un retour positif sur le travail qu’ils effectuent en amont.

D’après Namizata Sangare, « L’opinion publique ivoirienne n’est pas favorable à la peine de mort ». En l’occurrence la Côte d’Ivoire est un pays abolitionniste depuis 2000 mais le pays n’a pas encore ratifié le deuxième Protocole facultatif se rapportant au PIDCP qui constituera le verrou de l’abolition dans le pays. Dès lors, le soutien de la population dans le combat pour l’abolition est très important, notamment pour sensibiliser les autorités compétentes et permettre aux organisations de s’appuyer sur l’opinion publique dans leur plaidoyer.

La tenue de ce Congrès permettait aussi de faire le lien entre les deux Journées mondiales de 2017, sur la peine de mort et la pauvreté, et de 2018, sur les conditions de détentions dans les couloirs de la mort. La Plénière du Congrès tenait ce rôle et avait pour objectif de lier ces deux Journées mondiales, même si celle-ci a principalement porté sur la pauvreté, et moins sur les conditions de détention. Ainsi la Journée mondiale 2018 sera l’occasion d’éduquer et d’informer plus amplement sur le sujet.

Dans le cadre de ce Congrès, la culture africaine fut très présente, les couleurs, les tissus et la musique ont joué leur rôle pour rendre ce Congrès festif. A l’occasion de la soirée culturelle le mardi 10 avril, le chanteur de reggae engagé Kajeem est venu donner un concert contre la peine de mort. La soirée fut très réussie et particulièrement entrainante grâce au rythme de Kajeem, de ses musiciens et des participants enthousiastes. Dans le cadre de ses chansons Kajeem a su mettre en avant l’un des objectifs de la société civile abolitionniste, éduquer les jeunes à ce combat. Durant tout le Congrès, les jeunes ont été mis en avant et ont participé activement à travers différentes pistes, soit pour continuer le combat, soit pour agir et faire avancer l’abolition dans leur propre pays, notamment avec un atelier consacré à la mobilisation des jeunes et aux bonnes pratiques pour l’abolition.

Une société civile pro-active

Ce Congrès a aussi permis aux différentes ONG et associations abolitionnistes de  se rencontrer.

Ainsi, un atelier de capitalisation sur le mouvement abolitionniste en Afrique a eu lieu le lundi 9 avril. Il s’agissait d’un atelier organisé par la Coalition mondiale contre la peine de mort et la Fédération Internationale de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (FIACAT), afin de discuter du projet pour l’abolition de la peine de mort en Afrique mis en place en 2015 et qui touche à sa fin. L’objectif de cet atelier était de rencontrer tous les membres ayant participé à ce projet et de travailler ensemble sur les méthodes, les moyens et les activités utilisés afin de pouvoir améliorer, dans l’avenir, la continuité du projet.

Différents groupes de travail ont été créés en fonction des zones géographiques et de la situation du pays concernant la peine de mort, ce qui a permis dans un cercle un peu plus restreint de travailler spécifiquement sur des problématiques identiques, bien connue des membres. Chacun, riche de son expérience personnelle au sein de son pays, a pu apporter son ressenti et donner des recommandations pour la suite.

Ce Congrès a été l’occasion de prendre la mesure du véritable impact de la société civile dans les différents pays africains : celle-ci a à cœur de défendre le combat de l’abolition et est très active malgré les difficultés.

Outre ces rencontres entre organisations, l’un des faits marquant de ce Congrès fut la rencontre avec des personnes libérées des couloirs de la mort. Leur témoignage est édifiant, il offre non seulement au combat abolitionniste un sens à sa quête, mais plus encore il humanise le combat.

Aussi bien au niveau de la société civile qu’au niveau politique ces témoignages ont permis de comprendre et d’entériner une fois de plus le véritable enjeu de l’abolition.

Le Congrès régional un véritable instrument de soft law

A l’occasion de la Cérémonie de clôture du Congrès, Madame Seynabou Benga a pris la parole et a notamment rappelé les différents débats qui ont eu lieu et les engagements pris.

La déclaration finale, lue par Madame Jacqueline Moudeina, avocate du Tchad, résume parfaitement les acquis de ce congrès et le chemin qu’il reste à parcourir pour parvenir à l’abolition dans la région. Elle permet aux organisations sur le terrain de rappeler à ces pays par le biais de leur plaidoyer les engagements qu’ils ont pris.

Leurs déclarations bien qu’elles ne représentent aucun caractère officiel sont une ouverture à l’abolition sur laquelle peuvent s’appuyer les acteurs de la société civile.

Aurélie Plaçais, directrice de la Coalition mondiale contre la peine de mort déclarait dans une interview donnée à ECPM, « Dans dix ans, je pense que la quasi-totalité de l’Afrique subsaharienne aura aboli la peine de mort ». Espérons que le Congrès régional ne soit que le commencement d’un rassemblement intergénérationnel et consensuel pour l’abolition de la peine de mort dans ce continent.

Photo: ©Christophe Meireis.

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