Les condamnations à mort en République démocratique du Congo sont plus nombreuses qu’on ne le pensait

Publié par Bronwyn Dudley, le 12 mars 2020

La RDC est un pays abolitionniste de facto depuis près de 20 ans, la dernière exécution remontant à janvier 2003. Alors que la société civile et le monde politique s’intéressent de plus en plus à la question de l’abolition totale, la peine capitale continue d’être prononcée par les tribunaux. Présentant le rapport au siège d’Ensemble Contre la peine de mort (ECPM), Me Liévin Ngondji, président de l’ONG congolaise Culture pour la Paix et la Justice (CPJ), a évoqué les principales conclusions et ce que cela peut signifier pour le combat abolitionniste en RDC.

Une équipe d’enquêteurs, dirigée par le CPJ, a visité 10 prisons et camps de détention répartis dans tout le pays et a interrogé plus de 250 personnes condamnées à mort ainsi que les membres de leur famille et les travailleurs de la prison. L’équipe a découvert des faits alarmants sur l’état actuel de la peine capitale dans tout le pays, notamment une estimation beaucoup plus élevée de personnes condamnées à mort, des problèmes systémiques dans le système judiciaire de la RDC et la question de la torture dans le couloir de la mort.

 

LE PROFIL DES CONDAMNÉS À MORT EN RDC

Le rapport a constaté qu’il y a au moins 510 personnes actuellement condamnés à mort. Ce nombre est deux fois plus élevé que celui qui avait été estimé précédemment. Parmi les personnes condamnées à mort, près de la moitié sont incarcérées dans un camp de détention isolé dans le nord du pays, à Angenga. Un profil de ces personnes a été établi ; alors que la plupart des condamnés à mort sont des hommes, au moins une femme a été interrogée. Des personnes âgées de 20 à 70 ans ont été interrogées, bien que l’âge moyen soit de 40 ans. En outre, 44 % des personnes incarcérées ont été condamnées à mort au cours des 5 dernières années, et 16 % ont été condamnées au cours des 16-20 dernières années.

 

LES FAILLES SYSTÉMIQUES DU SYSTÈME JUDICIAIRE ET LE DROIT À LA REPRÉSENTATION LEGALE

Au cours des entretiens, de nombreuses personnes ont fait état d’un procès entaché d’irrégularités et d’une représentation juridique inefficace pendant le procès. Me. Ngondji, lui-même avocat, a fait remarquer que la militarisation croissante du système juridique congolais, le fait de ne pas avoir d’interprète pendant les procédures judiciaires et la coercition exercée par les forces de l’ordre pour obtenir des aveux, sont autant de facteurs qui contribuent à d’importantes failles systémiques, empêchant tout espoir d’accès à des procès équitables.

Le thème de la Journée mondiale contre la peine de mort de 2020 sera le manque de représentation légale à tous les stades de l’arrestation d’un individu et les risques plus élevés de condamnation à mort si cette représentation n’est pas offerte. Cette étude illustre la nature primordiale de ce droit dans l’issue du procès d’un individu et la sévérité de la peine. Alors que 66 % des personnes interrogées ont indiqué qu’elles avaient bénéficié d’une sorte de représentation légale au cours de leur procès, beaucoup ont déclaré que leur représentation juridique était loin d’être suffisante en citant des problèmes tels que le manque d’expérience de leurs avocats dans les procès de peine capitale, le fait qu’ils partent au milieu du procès parce qu’ils ne sont pas payés par le client ou qu’ils entrent en contact avec le défendeur le jour du procès sans avoir les moyens de se préparer à l’avance. Par ailleurs, 34 % des personnes interrogées ont admis que les tribunaux ne leur accordaient pas du tout les services d’un avocat et qu’elles étaient seules pendant le procès. Bien que le code pénal congolais prévoie une représentation juridique universelle, « les fonds alloués à l’aide légale sont en effet généralement indisponibles aux bureaux des consultations gratuites des Barreaux. Les avocats et défenseurs n’ont pas les ressources pour préparer les dossiers et organiser la défense de leurs clients. »

 

LES CONDITIONS DE DÉTENTION

En plus de la condamnation à mort, le rapport a révélé des détails sur les conditions de détention et sur ce que signifie vivre dans le couloir de la mort pour ceux qui sont condamnés. Pour la RDC étant sous un moratoire de facto, ceux qui sont condamnés à mort sont incarcérés pour une durée indéterminée. Nombre d’entre eux sont logés dans des établissements situés loin de leur famille, ce qui rend au mieux les visites aux proches compliquées et coûteuses et au pire impossibles. La surpopulation carcérale est omniprésente, allant jusqu’à 560% de la capacité de la prison de Makala et 465% de celle de Goma. Les conditions sanitaires et d’hygiène, ainsi que la qualité de la nourriture, des services médicaux et des services de sécurité dans les prisons sont déplorables. Cela contribue chaque année à de nombreux décès. En 2019, le Comité des Nations unies sur la torture a condamné la situation, assimilant les conditions de vie dangereuses à la définition de la torture.

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