Le Printemps arabe au cœur des discussions de la Coalition mondiale

MENA

le 26 juin 2011

L’Assemblée générale de la Coalition mondiale contre la peine de mort s’est ouverte le 24 juin à Rabat  par une cérémonie officielle au cours de laquelle le gouvernement marocain s’est engagé à « l’abolition graduelle » de la peine capitale.
Invités par le ministère de la Justice du Maroc à tenir leur assemblée générale à l’Institut supérieur de la magistrature de Rabat, les militants abolitionnistes du monde entier sont réunis depuis vendredi soir pour leur rencontre annuelle, tournée cette année vers le monde arabe.
Environ 200 personnes ont assisté à la cérémonie d’ouverture au cours de laquelle Me Abderrahim Jamaï, de la Coalition marocaine contre la peine de mort, a rappelé que la poursuite des condamnations à mort jusqu’à ce jour n’a pas fait diminué la criminalité dans le pays.
« L’Etat a échoué à traiter la question du droit à la vie et à abolir la peine de mort », a-t-il regretté. Il faisait référence au projet de nouvelle constitution en discussion, qui consacre le droit à la vie mais pas l’abolition, qui était pourtant « la position des défenseurs des droits de l’homme, des syndicats, de nombreuses personnalités politiques, d’artistes, de professionnels des médias et d’une partie de l’opinion publique ».

Réforme du Code pénal marocain

Jamaï a donc demandé au gouvernement de tourner son attention vers le Code pénal, lui aussi en cours de réforme, pour y inscrire l’abolition.
Mohamed Abdennabaoui, Directeur des affaires pénales au ministère Justice, a répondu que depuis l’organisation d’un forum gouvernemental sur le sujet en 2004, « la position du gouvernement marocain est stable et va dans le sens de l’abolition graduelle ».
Abdennabaoui a rappelé qu’aucune exécution n’a eu lieu au Maroc depuis 18 ans et que le nombre de crimes punis de mort dans l’arsenal juridique du pays a été réduit de deux tiers pendant cette période. Il a ajouté que le projet de réforme du Code pénal prévoit que toute condamnation à mort nécessitera désormais l’unanimité des juges.
Le haut fonctionnaire a communiqué les statistiques officielles sur la peine de mort au Maroc, selon lesquelles 103 personnes dont deux femmes sont dans le couloir de la mort et une dizaine de condamnations à la peine capitale sont prononcées chaque année.
Abdennabaoui a affirmé sa position personnelle en faveur de l’abolition et ajouté : « Nous attendons un nouveau souffle à travers la nouvelle constitution qui stipule à travers l’article 20 que le droit à la vie est le tout premier des droits. »

« L’abolition, pas la cosmétique »

Le débat s’est étendu samedi à l’ensemble du monde arabe.  « La cosmétique, ce n’est pas ce que nous voulons. Ce que nous voulons, c’est l’abolition », a déclaré Tagreed Jaber, directrice régionale de Penal Reform International pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
La remarque prend tout son sens au Maroc, où le projet de nouvelle constitution protège le « droit à la vie » sans aller plus loin. « Cela n’est pas suffisant pour les abolitionnistes : cet article n’interdit pas la peine capitale, à l’instar d’autres constitutions ou du protocole international », souligne Mostafa Znaidi de la Coalition marocaine contre la peine de mort.
Jaber souligne les points positifs et négatifs dans les mouvements de protestation en cours dans la région dans la perspective de l’abolition de la peine capitale.
« Le printemps arabe a réussi à briser la barrière de la peur, ce qui a permis aux citoyens, aux groupes de s’exprimer sur un certain nombre de tabous », constate-t-elle, ajoutant que les organisations des droits de l’Homme longtemps réduite au silence ont retrouvé leur place.

Tendance à la vengeance

Mais elle s’inquiète de la tendance à la vengeance qui s’exprime dans certains mouvements révolutionnaires. « Par exemple,  les jeunes révolutionnaires d’Egypte appellent à l’application de la peine de mort contre ceux qui étaient au pouvoir auparavant », s’inquiète-t-elle. « Cela menace la justice, les procès équitables. »
Halem Chabouni, de la Coalition tunisienne contre la peine de mort, rapporte ainsi que son organisation a recouvré ses droits après avoir été interdite par le gouvernement Ben Ali. Pour l’instant, personne n’a appelé à l’exécution de l’ancien président, mais cette possibilité tracasse Chabouni.  « Je souhaite que la nouvelle Tunisie ne soit pas celle qui applique la peine de mort », déclare-t-il.
La plupart des participants sont cependant optimistes quant à l’effet du Printemps arabe sur l’abolition.
Reste que certains pays arabes attendent toujours de voir se manifester la tendance à l’abolition. Nasser Abood, de la Coalition irakienne contre la peine de mort, constate que son pays est passé du régime de Saddam Hussein où une multitude de textes étaient utilisés pour condamner à mort les auteurs d’insultes au président aussi bien que ceux d’adultère, à un nouveau régime où la loi contre le terrorisme conduit elle aussi des milliers de personnes dans les couloirs de la mort.
Malgré un rapport du ministère des droits humains faisant état de 1145 condamnés à mort, Abood estime que le chiffre réel est plusieurs fois supérieur.
La partie publique de l’assemblée générale de la Coalition mondiale s’est conclue par un débat sur l’inhumanité de la peine capitale, thème de la Journée mondiale contre la peine de mort du 10 octobre 2011.

Peine de mort et traitements inhumains en droit international

Rosalyn Park de The Advocates for Human Rights, Bernadette Jung de la FIACAT et Essadia Belmir du  Comité de l’ONU contre la torture ont fait le point sur les points communs entre peine de mort et traitement inhumain en droit international.
« Si certaines peines comme l’amputation sont considérées comme cruelles, inhabituelles et inhumaines, comment peut-ont accepter la décapitation ou  l’électrocution ? », s’interroge Park.
Jung avertit contre une position qui consisterait à dénoncer uniquement les conditions inhumaines d’application de la peine de mort au risque de l’accepter si elle pouvait être appliquée humainement. « Mais comme le moratoire, cela peut constituer une étape sur la route qui mène à l’abolition. L’expérience de ces dernières années montre que la politique des petits pas est souvent mieux acceptée par les Etats », a-t-elle concédé.
Belmir a rappelé que la Convention des Nations unies contre la torture interdit aussi bien l’extradition vers les pays qui torturent que vers ceux qui utilisent la peine de mort.
L’assemblée générale de Rabat se poursuit dimanche avec la réunion statutaire de la Coalition mondiale et des ateliers de formation pour ses membres.

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