Algérie : Il est temps de passer du moratoire à l’abolition

MENA

Publié par Florence Bellivier et Lorène du Crest, le 24 mai 2017

Au cours de ces deux jours, plusieurs aspects attachés à la peine de mort ont été traités lors d’interventions toutes très pertinentes. Ont ainsi été abordés l’histoire de la peine de mort en Algérie avec l’intervention de Ali Haroun ; la peine de mort comme controverse avec l’intervention de Mustapha Bouchachi ou encore la question dite des peines alternatives à la peine de mort avec Florence Bellivier.

L’État de droit au cœur des débats

Ce qu’il ressort des différentes interventions, c’est la volonté de lier le sujet de la peine de mort à l’État de droit. Les participants se sont exprimés à plusieurs reprises sur l’indépendance de la justice et sur l’utilisation de la peine de mort à l’encontre des opposants au régime.

C’est dans ce sens que M. Mustapha Bouchachi, avocat au barreau d’Alger, a insisté sur le manque d’indépendance de la justice algérienne et sur le caractère discriminatoire de la pratique de la peine de mort. Il a rappelé qu’entre 1962 (indépendance de l’Algérie) et 1993 (institution d’un moratoire officiel sur les exécutions), les 33 personnes exécutées étaient soit pauvres, soit des opposants politiques. Il a alors évoqué une « démocratie de façade » en précisant également qu’en Algérie 99% des textes législatifs ne passent pas devant le parlement. Ce manque d’indépendance est aggravé par le peu de moyens que l’État fournit au juge pour pouvoir mener des enquêtes : par exemple, ce n’est que depuis peu qu’il est possible pour les enquêteurs de recueillir des empreintes sur le lieu du crime.

La peine de mort, une question politique

En la décrivant comme dépendante du contexte politique mais aussi comme outil de répression, les participants ont abordé la peine de mort sous un angle éminemment politique.

C’est dans ce contexte qu’Ali Haroun, avocat, ancien Ministre délégué aux droits de l’homme et ancien membre du Haut comité d’État,  s’est référé au moratoire comme à une « épée de Damoclès » qui trônerait au-dessus des opposants politiques. Cette expression met en lumière le choix politique du régime de ne pas abolir la peine de mort en Algérie. C’est également ce qu’a fait ressortir Abdennour Benantar, professeur à l’Université Paris 8, en précisant que l’abolition de la peine de mort ne devrait pas davantage être soumise à l’accord de la population que d’autres questions à propos desquelles le pouvoir ne lui demande pas son opinion.

En parallèle, Florence Bellivier, secrétaire générale adjointe de la FIDH, est revenue sur la peine de mort et les violences politiques en prenant comme exemple le cas du terrorisme. Elle rappelle que terrorisme et abolition de la peine de mort ne font pas bon ménage, puisqu’alors même que la peine de mort n’est nullement dissuasive, a fortiori s’agissant de terroristes qui n’ont généralement pas peur de mourir, des États  tirent prétexte de la lutte contre le terrorisme pour revivifier le recours au châtiment capital.

 « Ne pas ajouter du sang au sang »

Tout en affirmant que la société algérienne ne serait pas assez mûre pour abolir la peine de mort, le bâtonnier Ahmed Saï, président de l’Union nationale des barreaux algériens, estime qu’il est nécessaire d’analyser la peine de mort de manière objective. Pour cela, il préconise de s’éloigner du contexte de la commission des crimes et de ne pas se focaliser uniquement sur des arguments juridiques. En effet, les crimes et surtout les enlèvements d’enfants en Algérie sont de plus en plus fréquents, ce qui renforce l’argumentaire des partisans en faveurs de la peine de mort. Ahmed Saï se réjouit cependant de la réduction du champ d’application de la peine de mort depuis 1993.

Maître Brahimi, avocat au barreau d’Alger, explique que le moratoire de 1993 a été décidé dans un contexte de terrible crise interne, la décennie noire, afin de ne plus « ajouter de sang au sang ». Il souligne en outre que le 26 juin 2004, un projet de loi pour l’abolition de la peine de mort a été déposé par le ministre de la justice mais qu’il n’a jamais été soumis au parlement. Cela semble surprenant lorsque l’on sait que l’Algérie vote régulièrement en faveur de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies appelant à un moratoire sur la peine de mort.

Abdelgahni Meziani, président du Tribunal de Rouiba, s’est également exprimé en affirmant que, selon lui, la peine de mort « relève de la vengeance et se rapproche du lynchage ». Cette intervention a surpris puisqu’il semblerait qu’il soit rare qu’un juge en fonction s’exprime aussi librement sur la peine de mort.

L’exposé de Tareq Zouhair, avocat au barreau de Casablanca (Maroc) aura permis de mettre en lumière un paradoxe certain. En effet, il a rappelé que l’avortement thérapeutique et l’euthanasie sont interdits en Algérie au nom de la protection du droit à la vie, alors que ce même droit est largement bafoué par le maintien de la peine de mort dans les législations algérienne et marocaine.

La conclusion qui est ressortie de ce séminaire très riche est qu’il est grand temps que l’Algérie, comme son voisin marocain du reste, passent du moratoire sur les exécutions à l’abolition pure et simple du châtiment capital.  

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